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Tembé, l’art de ceux qui s’évadent

Tembé

L’origine du tembé remonte à l’époque de la colonisation de la Guyane hollandaise, le Suriname actuel, et de la Guyane française. Les conditions de vie étant pénibles dans les plantations, les esclaves africains fuyaient pour s’installer dans la forêt, près du fleuve Maroni. Alors que leur culture était fondée sur la tradition orale, ils inventèrent, pour communiquer sans se faire repérer, un langage pictural unique. L’art tembé devint l’art du fleuve, celui des Noirs marrons, l’art de ceux qui s’évadent. Les messages étaient porteurs d’informations pratiques – lieux de campements sécurisés, de sites de chasse – mais aussi de préceptes à valeur universelle sur la famille, la nature ou la mort. 

Beaucoup de Bushinenge (les « Noirs de la forêt » ou descendants des communautés maronnes) englobent dans l’art tembé tout ce qui est fait manuellement mais, pour d’autres, le terme se limite à la sculpture sur bois et à la peinture sur toile ou bois avec des motifs ayant un sens. Le mot tembé viendrait du hollandais timmer qui signifie menuiserie. 

L’art tembé se révèle à travers de nombreux objets réalisés depuis le XIXe siècle pour un usage quotidien, comme des bancs, des peignes, des plats pour vanner le riz, des calebasses, des pagaies, des frontons de maisons, des portes, des têtes de pirogues, des peignes etc. Mais peu à peu, le beau prend le pas sur l’utile. Dans le dernier quart du XXe siècle, le tembé a été porté sur des tableaux en toile ou en bois. Outre la sculpture et la peinture, cet art patrimonial se mêle à d’autres savoir-faire comme la broderie, la cuisine, la gravure sur calebasses, l’art corporel (scarification, coiffure, tatouage, etc.)

Règle et compas

L’art tembé est composé de figures géométriques et de lignes réalisées à la règle et au compas uniquement. Elles se croisent et se décroisent pour composer un ensemble complexe et harmonieux. Certains disent que ces entrelacs représentent le chemin aléatoire, voire labyrinthique, qu’empruntait les esclaves lors de leur fuite dans les layons de la forêt. Pour d’autres, le tembé représente les étapes de la vie, le rapport avec autrui mais aussi avec la nature.

Il existerait 300 pictogrammes dans l’art tembé. Certains diffèrent selon les ethnies bushinenge mais les couleurs (bleu pour le ciel, rouge pour le sang, jaune pour le soleil ou l’or, orange pour le feu, blanc pour la femme, vert pour la nature, etc.) signifient la même chose pour tous et sont choisies en fonction des thèmes que l’on souhaite aborder. Lors d’un mariage traditionnel, les hommes offrent un tembé à leur épouse qui symbolise un engagement : la fidélité, la protection, l’envie de fonder une famille nombreuse, etc.

A l’origine, les supports sur lesquels on réalisait les peintures étaient en bois, revêtus de couleurs d’origine naturelle : le noir provenait des cendres, le rouge était obtenu grâce au roucou, le vert résultait d’ un mélange de rouge auquel on ajoutait du jus de citron. Au fur et à mesure, ces produits naturels ont été remplacés par les peintures à l’huile ou acryliques. La palette s’est ainsi diversifiée.

Pour la sculpture, les outils utilisés sont le compas à pointe sèche et la machette ou la hache. L’usage d’outils modernes est venu se substituer peu à peu mais les scies et le compas demeurent essentiels. La sculpture ainsi que la peinture sont pratiquées essentiellement par les hommes, à l’inverse de la broderie.

Un art à préserver et à transmettre

Depuis les années 90, cet art qui était en voie de disparition est à nouveau à l’honneur, dans les salles de musées et même les écoles, grâce aux initiatives d’artistes, d’enseignants et d’associations culturelles, comme Libi Na Wan à Kourou ou Mama Bobi à Saint-Laurent-du-Maroni. Des cours de tembé peint et sculpté sont proposés avec l’objectif de transmettre un savoir-faire ancestral aux jeunes générations.

Des artistes tembeman se sont fait une renommée et contribuent largement à la reconnaissance et à la diffusion du tembé en dehors des communautés marronnes. Tout le long du fleuve Maroni, on peut voir des peintures tembé sur les murs des écoles, marchés, gendarmeries, mairies, casernes de pompiers.

Reconnaissance ultime, le tembé a fait son entrée au patrimoine culturel immatériel (PCI) national en 2020. C’est le quatrième élément de la culture immatérielle guyanaise à y être inscrit après le maraké wayana (rituel de passage à l’âge adulte chez les jeunes Amérindiens wayana), le personnage du touloulou dans le carnaval guyanais et les musiques dansées aluku. 

Sybille Vernet

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